Disquiet.
En puisant son titre dans les mots de Fernando Pessoa et son célèbre Livre de l’intranquillité (The Book of Disquiet), cette série explore la façon dont notre regard appréhende le monde lorsque notre cerveau est sujet à ce que le XIXᵉ siècle désignait pudiquement comme mélancolie.
Ce projet est née d’un constat : au fil de conversations avec des personnes venant d’horizons différents, j’ai été frappée par le nombre de celles confrontées à la dépression. Chronique ou passagère, elle se manifeste en réaction à des épreuves personnelles ou à un contexte global anxiogène. Pourtant, elle reste largement tue, dissimulée comme un fardeau honteux, un mal inavouable. Disquiet. tente de fissurer ce tabou et d’ouvrir une fenêtre sur cette réalité invisible et partagée.
Pour construire cette série, j’ai fouillé dans mes archives personnelles datant de périodes où j’étais atteinte de dépression. Des moments qui m’ont empêchée de mener à bien des projets photographiques aboutis, mais qui n’ont pas interrompu le geste photographique. J’ai continué à prendre des photos, de manière instinctive, sans intention définie ni direction claire. Ces photographies, restées inexploitées jusqu’ici, me sont réapparues avec un regard neuf et une sensibilité différente.
Au fil de ce travail introspectif, j’ai pu constater que la nature occupait une place centrale. Elle s’impose à plusieurs niveaux : source de réconfort et de sérénité, objet d’inquiétude face à sa fragilité et sa domestication, et support silencieux d’une projection intime du mal-être. J’ai donc choisi le cyanotype, une technique d’impression parmi les moins polluantes, pour donner forme à ce projet. Chaque tirage a ensuite été plongé dans un ou plusieurs bains de plantes, où le tannin végétal réagit avec le fer du cyanotype pour générer de nouvelles teintes. Les plantes utilisées ont été sélectionnées pour leurs propriétés tanniques mais aussi pour leur histoire et leurs vertus thérapeutiques, comme le millepertuis et l’aubépine par exemple, qui sont reconnus pour leur action sur la régulation des émotions.
Disquiet.
Borrowing its title from Fernando Pessoa’s renowned Book of Disquiet, this series explores how our gaze perceives the world when our brain is subject to what the 19th century discreetly referred to as melancholy.
The project was born from an observation: through conversations with people from various backgrounds, I was struck by how many had experienced depression. Whether chronic or temporary, it often emerges in response to personal upheaval or a broader climate of anxiety. Yet it remains largely unspoken, hidden like a shameful burden—an unmentionable affliction. Disquiet seeks to crack this taboo and open a window onto this invisible, shared reality.
To build this series, I delved into my personal archives, revisiting images taken during periods when I was myself living with depression. Though I was unable to carry out complete cohesive photographic projects at the time, I continued to take pictures—intuitively, without clear intent or direction. These photographs, mostly left unused until now, have resurfaced with a new gaze and a different sensitivity.
Through this introspective process, I observed the central role that nature plays in these images. It manifests on multiple levels: as a source of comfort and serenity, a cause for concern regarding its fragility and domestication, and a silent canvas onto which an intimate sense of unease is projected.
To give form to this project, I chose cyanotype—a printing process known for its low environmental impact. Each print was then immersed in one or more plant-based baths, where the tannins from the plants react with the iron salts of the cyanotype to produce new hues. The plants were selected not only for their tannic qualities, but also for their symbolism and therapeutic properties. St. John’s Wort and hawthorn, for example, are both known for their emotional regulatory properties.